[RP] Fondation de la Guilde des Savanturiers

[L'Archiviste]

L'archiviste se laissa tomber sur une chaise. Grâce à l'aide de plusieurs voisins serviables et à la mobilisation de toutes les personnes intéressées par la réunion, une des salles de la future guilde avait pu être dûment balayée, nettoyée et installée. Il y avait une longue table constituée de plateaux disparates juchés sur des tréteaux de fortune, des chaises de toute forme et toute couleur. Chacun avait apporté quelque chose à manger ou à boire - une tarte, un saucisson, un cake salé, du cidre aux épices... Cette réunion ressemblait davantage à un repas entre amis qu'à la très sérieuse préparation d'une nouvelle guilde. Et ma foi, c'était très bien comme ça.

Les participants prirent place en bavardant gaiment. L'Archiviste soupçonnait la plupart d'avoir quelque peu oublié pourquoi ils se trouvaient là. Ou de l'ignorer depuis le départ, vu qu'ils avaient recruté de l'aide en cours de route et qu'il n'était pas sûr que quiconque leur ait expliqué de quoi il retournait. Les gens riaient et picoraient dans les plats. Il y avait bien une vingtaine de personnes en plus de la petite bande de savants. Plutôt trente.

Un raclement de gorge. L'Archiviste se retourna. Alanctar s'était levé et s'apprêtait visiblement à parler.

- Mes amis, commença-t-il, je vous remercie d'être venus si nombreux. Comme vous le savez peut-être, nous sommes des savants naturalistes et cryptozoologistes. Pour faire simple, cela signifie que notre principal travail consiste à compulser les archives, les chants, les mythes qui évoquent des animaux légendaires ou mystérieux. Nous les étudions et nous tentons de mesurer... comment dire... leur degré de probabilité. est-ce qu'ils existent ? Est-ce qu'ils ne sont que le fruit de l'imagination fertile des êtres sentients ? Est-ce qu'ils ont tout simplement disparu ?

Il fit une pause. Tout le monde s'était arrêté de manger, à l'exception de deux ou trois enfants qui profitaient de l'inattention de leurs parents pour se goinfrer. L'Archiviste regarda autour de lui avec intérêt, toujours curieux de ses semblables. La vieille amazone se rongeait pensivement un ongle. Un jeune couple fixait Alanctar avec un air perplexe - sans doute des voisins recrutés au passage qui venaient de découvrir l'objet de la réunion. Son ami Balthasar grattouillait Tidrak d'une main distraite.

- Nous avons déjà monté quelques expéditions, poursuivait Alanctar. Je sais que certains d'entre vous ont lu notre publication sur les dragonnets méconnus. Je vous en remercie.

Un des participants leva le doigt.

- Oui ? s'enquit l'elfe.

- Quand y aura-t-il d'autres publications ? demanda l'homme. C'était très intéressant, et cela m'a rappelé des vieilles légendes que me racontait mon grand-père. Je ne savais pas qu'il parlait d'animaux... enfin, vous voyez... des animaux réels. Est-ce qu'ils existent vraiment ?

- Ceux que nous avons décrits, oui. Mais pour un que nous avons pu trouver, il y a au moins cinq fausses pistes, ce qui ne veut pas forcément dire que la créature est purement imaginaire. Parfois oui, parfois elle a disparu, ou simplement, nous ne l'avons pas trouvée.

Un autre convive demanda la parole.

- Vous ne travaillez que sur les dragons ? Ma grand-tante m'a parlé des sylvechats et je me demandais...

- Non. Nous travaillons sur toute la faune - et un peu la flore. Mais nous sommes peu nombreux, et notre travail n'a aucun sens s'il ne débouche pas sur des expéditions de recherche. D'où la réunion de ce soir.

Un doigt qui se lève.

- Pourquoi vous n'engagez pas simplement des mercenaires, avec l'un d'entre vous pour diriger l'expédition ?

- Parce que les mercenaires coûtent cher. Et que nous ne sommes pas riches, comme vous devez vous en douter en voyant cette maison.

Des murmures dans la salle. L'Archiviste sourit ironiquement. Certains semblaient se demander si on allait leur faire les poches. Le jeune couple se trémoussait sur son banc, comme s'il cherchait un moyen poli de prendre la poudre d'escampette.

- Ne vous inquiétez pas ! rit la femme rigolote au nom impossible. Nous n'allons pas vous soutirer votre argent. L'idée, c'est de voir si nous pouvons fonder une guilde qui serait financée en partie par des souscriptions et en partie par le travail de ses membres. Nous pourrions par exemple vendre des tableaux ou des figurines des animaux que nous découvrons, organiser des ateliers pour les enfants, donner des cours de biologie. Toutes les idées sont bonnes à prendre.

- Et une fois l'équilibre financier atteint, nous pourrions organiser des expéditions aux quatre coins du Royaume, et même au-delà.

- Excusez-moi, intervint une femme, mais quel est exactement l'intérêt de ces recherches ?

Les naturalistes se regardèrent d'un air perplexe, comme si la question leur semblait totalement incongrue.

- Le savoir, ma dame, répondit finalement Alcantar. Le savoir. Et l'aventure. Voilà pourquoi nous avons adopté le nom de savanturiers.

A la grande surprise de l'Archiviste, la femme hocha la tête avec satisfaction.

- Dans ce cas, je vous rejoindrai. Je craignais que votre but ne soit de capturer ces créatures merveilleuses pour les vendre aux plus offrants.

[Léonie]

Léonie avait écouté les échanges avec intérêt. Elle aussi avait eu quelques réserves sur les intentions de ces savanturiers. Mais à voir l'expression de choc qui s'affichait sur leur visage après l'intervention de la femme, elle était convaincue de leur sincérité. Visiblement, ils n'arrivaient même pas à croire qu'on ait pu les soupçonner d'avoir des desseins mercantiles.

- Je vous assure, ma dame... commença Alanctar. Nous... Jamais nous ne pourrions...

- Nous vous remercions pour votre soutien, ma dame, intervint un de ses confrères. Toute aide est précieuse.

- Je suis artisane potière, dit la femme. Indépendante. Je fais des vases, des pots, mais aussi des objets de décoration. Je suis toujours à la recherche de sujets d'inspiration et j'ai aimé les dessins des dragonnets méconnus. Si vous m'autorisez à utiliser leur image, je vous verserai un quart de mes bénéfices. Je vends bien. Et cela fera connaître votre travail.

Elle rit.

- Par contre, ne comptez pas sur moi pour les expéditions : je ne tiens pas sur un cheval et je n'aime guère marcher.

Il y eut des petits rires complices. La potière avait des formes généreuses et on la devinait assez casanière. Les savanturiers la remercièrent chaleureusement en leur donnant leur accord. Satisfaite, la femme se leva, serra la main des naturalistes, salua les autres d'un bref signe de tête, puis s'en alla. Il y eut un silence. Léonie regarda autour d'elle. Tout le monde réfléchissait.

- Vous avez mon soutien, décréta-t-elle en se levant. Je n'ai pas d'argent à vous donner, mais je suis une amazone. Je sais organiser des expéditions, et je ne suis pas trop vieille pour en diriger une. Je peux m'occuper des chevaux, fournir des oiseaux pour la chasse et les communications. Et je connais les plantes pour la cuisine et les soins. Votre projet m'intéresse.

Elle se sentait revivre. Bien évidemment, elle ne serait pas avec ses sœurs, ça ne serait pas comme avant. Mais c'était un cadeau de la déesse.

- Et pour ce qui est des moyens de gagner de l'argent, ajouta-t-elle, j'avais l'idée de transformer la guilde des amazones en un centre d'instruction pour les enfants. Nous pourrions envisager une collaboration.

La petite troupe des savanturiers la regardaient avec un intérêt auquel elle n'était plus habituée. Ça la changeait des rebuffades des guildes de mercenaires.

Eux ne me trouvent visiblement pas trop vieille.

- Maîtresse Amazone, s'inclina Alanctar, c'est un honneur inespéré.

- Je ne vous apporte pas la guilde avec moi, se sentit-elle obligée de préciser. Mes sœurs se sont installées ailleurs. Je suis restée ici parce que... Parce que...

Hé bien, peut-être parce que la déesse avait ce projet en réserve pour moi.

[Zashera Drak]

Installée sur sa chaise, Zashera avait observé les échanges sans piper mot. Elle avait pris quelques notes par ci par là, notamment les noms des créatures évoquées. Elle n'était pas une experte des cryptides comme les Savanturiers mais imaginait bien à quel point leur mission pouvait être complexe. Étudier des créatures dont on ne peut parler qu'au conditionnel et dont l'existence n'est pas prouvée... Voilà un gros projet. Sans compter qu'une fois ce travail de longue haleine réalisé et l'existence prouvée, la créature passe dans la zoologie classique et donc n'est plus de leur ressort.

* Ils travaillent activement à ne plus avoir de travail... *

Cette pensée l'amusa brièvement. Mais très vite, elle s'interrogea sur sa potentielle place/contribution au sein de la guilde des Savanturiers. Elle ne remettait pas en cause l'importance de leur travail mais ne s'imaginait pas à leur côté, le nez rivé dans des vieux bouquins poussiéreux à longueur de journée. Elle finirait par tourner en rond comme un lion en cage avec un tel quotidien. Pendant quelques instants, elle songea même à quitter tout simplement la réunion mais son attention fut capter par l'évocation d'expéditions.

L'idée de pouvoir reprendre la route et partir en exploration, accompagnée cette fois, était très séduisante. Bien qu'égoïste à la base, sa participation pourrait être utile. Elle leur prêterait main forte et, dans la mesure du possible, mènerait son enquête perso en parallèle... Auto-convaincue, elle se leva à la suite de Léonie.

- Je me nomme Zashera, je suis de passage et actuellement hébergée par Léonie. Je ne suis pas une potière talentueuse comme madame ni experte en botanique comme mon hôte, mais je suis dégourdie, je sais me défendre et voyage depuis des années par tous les temps. Et je pense qu'on ne manque jamais de bras dans ce genre d'expéditions...

Elle hésita quelques secondes. Elle voulait être honnête avec eux mais craignait de trop se dévoiler à des inconnus.

- J'ai l'habitude de vendre mes services comme mercenaire pour financer mes voyages car j'ai... Des recherches personnelles à mener... Elle n'en dit pas plus mais sa main droite écailleuse remua malgré elle. Je pense que ses expéditions m'aideraient énormément. Donc, si vous êtes d'accord, je vous reverserai une partie de mes salaires en échange de vos connaissances.

[Balthasar]

Balthasar avait suivi la réunion avec beaucoup d'attention. La décision de Léonie ne l'avait pas tellement surpris (la vieille amazone lui avait confié à de nombreuses reprises les sentiments peu charitables que lui inspiraient les guildes de mercenaires qui ne voulaient plus d'elle), et il était content que la jeune Ash se soit également portée volontaire. Pas sûr qu'elle réussisse à percer les mystères de sa nature aussi facilement, mais il fallait bien commencer quelque part. Et puis ces savanturiers joyeusement loufoques et curieux de tout ne la regarderaient pas comme une bête curieuse, au moins. Ils plaçaient le curseur du curieux un petit peu plus haut que la moyenne...

Il gloussa, conscient du regard appuyé que lui adressaient ses deux comparses, et haussa les épaules avec fatalisme. Il n'était pas vraiment venu à Elwen pour adhérer à une guilde de chercheurs de l'étrange, mais pour être honnête, il n'avait pas non plus prévu d'y rencontrer l'amitié.

Ash amie. Léonie amie.

Tu as raison, Tidrak. Ce sont de bonnes amies. Cela te dirait qu'on se joigne à ces phénomènes ?

Le petit dragon passa la tête par-dessus son épaule et émit un trille richement modulé qui fit sursauter la moitié de l'assemblée et lui attira les regards de tous les savants présents.

- Je pense que mon dracofée vient de décider pour moi, sourit-il. Je suis de la partie. J'ai appris davantage de votre publication que de tout ce que j'avais pu lire ou entendre auparavant. Je vous dois bien ça. Et peut-être qu'en vagabondant de par la monde à la recherche de vos merveilles, je trouverai ce que je cherche - et lui aussi.

Il s'empara d'une tranche de cake aux olives et la partagea équitablement avec le petit dragon. Il était curieux de savoir si quelqu'un d'autre se manifesterait, et de connaître les projets d'expédition à venir.

[L'Archiviste]

L'archiviste s'éclipsa. Tout ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant avait été dit, et les conversations s'enlisaient désormais dans les lieux communs habituels à ce genre de commencements - grandes promesses et grands projets, petits mensonges et petites rodomontades. L'expérience avait été intéressante : il avait pu faire plus ample connaissance avec l'improbable trio que constituaient Ash, Balthasar et Léonie, et il se demandait ce que ces trois là pourraient bien faire subir à un chef d'expédition, s'ils partaient ensemble... Même si a priori, entre Léonie et Balthasar, il n'y aurait pas vraiment besoin de chef.

Les Savanturiers semblaient partagés quant au succès de la réunion. Il n'y avait pas eu grand-monde. Ils devaient espérer mieux. Mais les quelques recrues ne manquaient pas de valeur. Il avait hâte de savoir quelle serait la prochaine expédition. Dommage : il était trop vieux. Et il y avait la bibliothèque.

Le coup de cafard le prit par surprise. Il n'avait pas envie de rentrer à la bibliothèque. Il n'y avait jamais personne, de toute façon. Il allait faire les livres buissonniers. Il y avait quelques amis qu'il n'avait pas vus depuis beaucoup trop longtemps. Il avait bien le droit à quelques jours de congés.

Soupirant, il tourna les talons et partit dans la direction opposée à la bibliothèque.